Salut les amis! Je viens de réaliser avec effroi que bientôt je mourrai, et qu'un de mes grands échecs, au cours de cette vie, sera de n'avoir jamais su intéresser ma femme à mes pipes. A ma mort, sans doute, elle saura faire fructifier tous mes biens... Mais quid de mes pipes? de mes tabacs? leurs accessoires? Elle serait capable de tout revendre au premier venu sur le bon coin! Autant prendre dès maintenant mes dispositions. C'est pourquoi j'ai décidé, comme dirait Brassens, "
de me payer un codicille"... Parmi les heureux légataires, deux membres éminents de ce forum se reconnaîtront vers la fin. Que les autres n'en soient point jaloux! Leur tour viendra plus tard...
Bonne lecture.
Testament(à la Villon)L’an cinquantième de mon âge,
Je, Cantolys, pauvre en billets
Point du tout fol, point du tout sage,
Considérant, franc du collier,
Qu’il faut bien un jour trépasser
- Ou, comme on dit, « casser sa pipe »-
Ai résolu de tout léguer,
Et à cette fin, j’anticipe.
A mon compagnon Jean Le Sarde
Je lègue ma vieille
Saxo,
Ma toute première bouffarde,
Achetée moins de trente euros.
Mais qui la fume n’est point sot :
C’est dans les plus vieilles marmites
Que l’on fait les meilleurs gruaux,
Comment savent les sybarites.
Item, à la tendre Lisette
Je lui lègue en toute amitié
Ma grosse et longue chenillette
Qui a ramoné ma
Gambier.
Qu’elle la garde avec piété,
Et qu’elle en use en fille sage :
Ce qui convient à la Gambier
Convient aussi à aultre usage.
Item, à ma femme Thérèse
Pour qu’elle ne soit pas jalouse
Je lègue tous mes tasse-braises
Sachant que j’en ai plus de douze.
Elle fut ma fidèle épouse,
Habile au four comme au moulin,
Ardente comme une andalouse,
Dispensatrice de câlins.
Item, au brave caporal
Népomucène Boufardi
Je lègue tout mon
CaporalA sçavoir je lègue mon gris.
Ça vaut mieux que les pissenlits,
Surtout fumés par la racine,
Toi qui mourus à Rivoli,
En pétunant des deux narines !
Item, à mon amie Fernande
J’abandonne mes deux
Chacom(J’entends la petite et la grande)
Ainsi que mon tonneau de rhum.
Qu’elle en boive le maximum
Et fume comme une allemande.
Qu’elle sache bien (post-scriptum):
Que quand je pense à elle je...
Item, à ce fameux coquin
Qu’on nomme Paul Dubas
Je lègue mes deux
Butz-ChoquinAinsi que mon pot à tabac,
Dûment garni de Latakia.
Qu’il les déguste avec émoi,Et qu’il pétune l’air béat
Lorsqu’il se souviendra de moi.
Item, au bon roi Dagobert
Cette pipe mal culottée
Donnée par mon ami Robert
Qui m’a emberlificoté.
J’espère que sa Majesté,
Se fiant au bon Saint-Eloi,
Moyennant un peu de doigté
En saura préserver le bois.
Au poète Raoul Ponchon
Je laisse tout mon stock de bière
Et deux douzaines d’ébauchons
Taillés dans la bonne bruyère.
Qu’il en fasse des pipes fières
Qu’il fumera en versifiant,
Et ne se montre trop sévère
Pour mes rimes de débutant.
Item (ce n’est point une blague)
Je lègue au brave Boufardo
La plus rustique de mes blagues :
Ma blague en couille de taureau,
Pour y conserver ses aros.
Si ce sont des « tabacs de fille »,
Que le tanin de cette peau
Corse un peu leur goût de vanille.
Item, en guise de tout solde,
A mon ami Pierrot Gourmand,
Ainsi qu’à la charmante Isolde
Je lègue ma pipe
Tristan,
Pour fumer en philosophant.
Car philosopher sans volutes
Est aussi futile et pédant
Que danser sans tambour ni flûte.
Fait au temps de ladite date
Par l’écrivassier Cantolys,
Ayant vidé tout son picrate,
Et jusqu’à la lie son calice,
Qui fumera bientôt des lys
En guise d’ultime bouffarde
- Peut-être une pipe en maïs ?
Je m’en remets à la Camarde.
Jaufré Cantolys