JE vous soumets un article extrait du journal "Les échos" du 11 février courant sur des avancées scientifiques concernant la botanique.
Bonne lecture à tous.
On s’émerveille, et à bon droit, de l’extrême ingéniosité de la nature. Le monde du vivant offre, dans son infi-
nie diversité, des myriades d’exemples de ces mécanismes extrêmement inventifs et subtils, hérités de centaines de millions, voire de milliards d’années d’évolution.« Mais cela ne signifie pas que l’évolution a su partout trouver des solutions optimales aux problèmes rencontrés par les différentes formes de vie, objecte le responsable du laboratoire de biologie de synthèse à l’Institut Pasteur (et chroniqueur régulier aux « Echos ») David Bikard. Elle n’est pas infaillible, il lui arrive d’avoir des “loupés”. C’est pourquoi il est par-
fois possible d’améliorer, grâce à l’ingénierie, ce que l’évolution a produit. Et le récent travail de
Paul South en est un exemple frappant ! »
Paul South ? Ce nom est celui d’un scientifique de l’université de l’Illinois à Urbana. Il est le principal auteur d’une étude remarquée parue le 4 janvier dans la revue « Science ». L’article explique comment ce
chercheur et son équipe sont parvenus faire pousser, dans leur laboratoire d’abord, puis en conditions réelles (c’est-à-dire dans un champ), des plants de tabac plus gros d’environ 40 % que ceux qui sortent naturellement de terre.
Ce fait d’armes ne paraîtra peut-être pas exceptionnel aux yeux du grand public. Surtout s’agissant d’une culture aussi controversée que celle du Nicotiana tabacum, plante modèle souvent utilisée dans les expérimentations des spécialistes de la biologie végétale. Le résultat obtenu à l’université de l’Illinois n’en constitue pas moins une percée décisive qui a soulevé l’intérêt de
toute la communauté scientifique. Car Paul South et son équipe entendent bien, désormais, le répliquer sur d’autres plantes d’un intérêt agronomique beaucoup plus évident, comme la pomme de terre (les essais ont déjà commencé), le riz ou le soja.
Or, une hausse de 40 % de la biomasse d’une culture, c’est-à-dire de son rendement, constitue un record qui laisse très loin derrière lui les gains de quelques pourcents laborieusement grappillés au fil des générations avec les méthodes classiques (lire ci-dessous). Un brusque coup d’accélérateur qui n’est pas à négliger si l’on veut bien se rappeler que la population mondiale devrait atteindre 9,6 milliards d’habitants en 2050, masse d’humains impossible à nourrir sur la base des rendements actuels.
Cette percée a été rendue possible par l’ingénierie génétique, qui a permis aux chercheurs d’agir sur le levier clef de la photosynthèse. Celle-ci est le processus bio-énergétique par lequel les plantes, grâce à l’énergie que leur fournit la lumière du soleil et à l’eau que puisent leurs racines, captent le carbone présent dans notre atmosphère sous forme de dioxyde de carbone (CO2) et le transforment en glucides, ces sucres simples à l’origine de toutes les autres molécules organiques : le premier échelon de cette « chimie du carbone » qui est, sur Terre, celle du vivant lui-même.
La Rubisco, enzyme star
Découverte dès la fin du XVIIIe siècle mais expliquée dans ses grandes lignes dans les années 1930, la photosynthèse constitue une chaîne de réactions biochimiques si complexes qu’il aura encore fallu plusieurs
décennies de recherches intensives, jusqu’au seuil du XXIe siècle, pour en démonter un à un tous les rouages. Depuis le début des années 2000, les laboratoires du monde entier, après avoir réussi à expliquer la
machinerie, ont cherché à l’améliorer, afin de la rendre plus efficace. En vain jusqu’ici...et à la toute récente publication dans « Science ».
Car, si complexe et admirable soit-elle, la photosynthèse ne fonctionne pas de façon optimale, du moins dans la plupart des plantes – celles que l’on dit en « C3 » (lire ci-dessus). Car, en extrayant le carbone du CO2 atmosphérique pour en faire de la matière organique carbonée, les plantes produisent un résidu qui n’est autre que le dioxygène (O2), aujourd’hui présent dans notre atmosphère à hauteur de 21 % et dont la quasi-totalité provient de la photosynthèse elle-même. Or, si le dioxygène est nécessaire à la vie animale, il n’est d’aucune utilité pour les plantes. L’abondance de ce « déchet » dans l’air leur pose au contraire un sérieux problème, qui amoindrit sensiblement l’efficience de leur photosynthèse.
Au sein des chloroplastes, ces organites verts présents dans les cellules de plantes et à l’intérieur desquels se déroulent les réactions de la photosynthèse, la « star » est assurément la Rubisco. Un raccourci commode pour ribulose-1,5-bisphosphate carboxylase/oxygénase. Cette enzyme, la plus abondante par sa masse sur notre planète, y est aussi l’une des plus anciennes. « Elle existait déjà il y a 3,7 milliards d’années, explique Jean-François Morot-Gaudry, directeur de recherche honoraire à l’Inra. A cette époque, la Rubisco fonctionnait à plein régime et tout allait bien pour les organismes photosynthétiques, puisque le dioxygène produit par la pho-
tosynthèse était piégé par les minéraux sous forme d’oxyde de fer. Mais quand, il y a 2,5 milliards d’années, ces minéraux ont été saturés en oxyde de fer, la teneur en oxygène de l’atmosphère s’est mise à monter en flèche et, pour les plantes, les ennuis ont commencé. »
Le problème vient du fait que la Rubisco réagit non seulement avec le CO2 (c’est sa facette carboxylase) mais aussi avec l’O2 (oxygénase). Or, si le CO2 lui permet de fabriquer de la matière carbonique, l’O2 fait qu’elle brûle une partie de ce qu’elle produit : c’est le phénomène dit de « photorespiration », qui contrebalance la photosynthèse et en amoindrit l’efficacité.
Certaines plantes, dites en « C4 », ont su trouver une parade à cette boucle de rétroaction négative et leur photosynthèse fonctionne bien, malgré la concurrence du dioxygène. Mais ce n’est pas le cas des plan-
tes en C3, les plus nombreuses. Doter ces plantes en C3 d’une photosynthèse aussi efficace que celle des plantes en C4 est l’objectif ultime des chercheurs de l’Illinois.
Un objectif atteint en ce qui concerne ce premier essai sur le tabac.
Il leur a fallu, pour y réussir, court-circuiter la photorespiration à l’origine de la perte d’efficacité de la photosynthèse. Cela nécessitait de doter les cellules du tabac d’une voie métabolique (une chaîne de réactions chimiques) nouvelle, dont ils ont trouvé les gènes correspondants chez une algue verte et chez le potiron. Cette introduction de matériel génétique étranger fait de leur tabac surdimensionné un transgène, donc un OGM.
Même si l’équipe de Paul South parvient à répliquer son résultat sur la pomme de terre ou le riz, la réglementation sur les OGM étant ce qu’elle est, un certain temps risque de s’écouler avant de voir des plantes de grande culture génétiquement dopées nourrir une planète toujours plus nombreuse.