Je relis plus que lis les pages de beaux livres
Et fume des tabacs que déjà je connais ;
Depuis de trop long mois des tabacs je néglige
La diversité qui dans ma cave attendait.
Le Cerbère m'a niqué : il a eu raison de moi
Et j'encule l'alexandrin que vous attendiez, je fais ce que je veux.
Et vulgaire, avec ça. Si maman me lisait !
J'ai une boîte version boîte en fer ronde, stylée.
J'avais fait ramener cette boîte des Etats-Unis d'Amérique, parce qu'il me semblait qu'il faisait bonne figure dans la catégorie très sélective des hyperlatakiés, qui ont fait mes délices.
Sans me tromper, j'étais loin d'imaginer que ce tabac était beaucoup plus intelligent que prévu, surtout pour un produit d'outre-Altantique.
Il faut dire que je partais avec un handicap : j'ignorais la genèse de ce tabac. Pour vous la faire courte, il a été présenté comme un Latakia/Dark Fired Kentucky/Perique. Avec du Virginia, bien sûr. Et des orientaux.
En gros, un Three Nuns avec les éléments classiques des latakiés. Vous voyez le truc ? Non ?
Le Cerberus, avec ses trois têtes de chien des Enfers, ne serait-il pas une version infernale (latakia oblige) des Three Nuns ?
Allons plus loin dans la théorie du complot / fèke niouse :
Il y a des débats passionnés autour des versions du tabac Three Nuns, en fonction entre autres de la recette, de la date et de l'âge du capitaine. Cerbère, vous connaissez. Ce chien à trois têtes empêchant les morts de s'échapper des Enfers, et des vivants de venir récupérer les morts.
Ce Cerberus ne serait-il pas une invitation pour tous les fumeurs vivants à ne pas rester sur des impressions fugaces pour des tabacs morts, qui n'existent plus ?
Mmh ?
D'accord, oui, ça va un peu loin, mais Russ Ouellette étant d'abord un expert du copiage et ensuite un foldingue des noms de tabacs, j'ai du mal à penser que ces coïncidences proviennent du simple hasard. Inconsciemment, au moins, disons.
Bref, je vous laisse à vos réflexions sur mes capacités à trouver des messages codés dans des chiffres de Loto, et j'entame la dégustation.
Sans le latakia, le Cerberus est un tabac triste et chiant. Il a un goût de merde de doyen de l'humanité après mise sous presse dans un incinérateur de carrosserie allemande nourrie (nourri ? à vous de voir) à la schweinefleischwurst sauce remoulade.
Il a une odeur bien pourrie de faux cuir chinois de merde qui arrive exprès pour les soldes du site ouèbe de La Redoute, qui ont commencé hier dans une orgie de promotions imméritées (ou bien méritées, c'est selon).
"C'est triste quand ça pousse, ça pue quand c'est cuit : je suis bien content de ne pas aimer ça" : je cite de mémoire Cavanna qui écrit sur les choux de Bruxelles.
"C'est triste à l'odeur, ça pue quand ça fume : je suis bien content de ne pas aimer ça". Voilà.
On pourrait s'arrêter là.
Sauf que.
Sauf qu'il y a du latakia. Beaucoup de latakia. Et que ça, ça change tout.
Ce tabac est gras et moelleux, doux et fumé : il transporte et il plombe. Vous pouvez le fumer dans la rue 10 secondes et revenir un quart d'heure après par jour de grand vent : son odeur sera encore présente.
C'est un compagnon fidèle, de bon goût, assez moche pour que n'importe qui le remarque.
Une pipe de Cerberus met trois jours à sortir de votre bouche.
Peut-être que c'est ça, les trois têtes.
Je m'emballe et je vois que j'ai complètement laissé tomber les goûts au profit de descriptions douteuses. C'est donc très très marqué par les notes de cuir, puis en décroissant viandes saurées, whisky tourbé/fumé, réglisse. Un peu de noisette, discret.
Franchement, c'est pas mal. Pas mon truc, ces tabacs tristounes. Mais faut reconnaître qu'il y a du bon.