A l'attaque 6
Et donc le prisonnier couché là par terre, c’est un fermier ! Nous nous regardons incrédules et stupéfaits.
Puis comme une lame de fond qui emporte tout sur son passage, au même instant avec une violence surprenante et libératrice, un rire incroyable nous secoue, nous rions à en pleurer, nous nous tapons sur les épaules et le dos, les uns et les autres, un rire qui ne s'arrête plus, qui coupe le souffle et finit par faire mal, mais un rire incontrôlable. Trois se retrouvent à plat ventre et martèlent le sol du poing. Cinq sont à genoux les bras croisés se compressant l’abdomen. Deux sont encore debout, s’appuyant l’un sur l’autre, ils finissent par vaciller et s’effondrent dans un hurlement qui tient du fou rire et du cri de douleur. Quant à moi je suis assis à même le sol et me donne des claques sur les cuisses en pleurant de rire, cherchant par moment à retrouver une respiration normale.
Je ne sais plus combien de temps nous avons mis à retrouver un peu de calme et de sérieux.
-- « Mon dieu ! Et le prisonnier ? » Criais-je.
Nous courons vers lui, qui nous regarde effrayé ne comprenant forcément rien à ce qui vient d’arriver, on lui enlève le bâillon, on le libère de ses entraves, tout le monde parle en même temps, on présente des excuses, on explique que c’est une terrible erreur, on lui demande pardon, tout cela dans une langue qu’il ne comprend pas. Maintenant il a vraiment peur, ça ce lit sur son visage, il tremble même un peu.
Soudain l’un d’entre nous a une idée géniale, il lui offre un bâton de chocolat et c’est comme un signal, nous fouillons nos poches et voici maintenant notre victime éberluée qui reçoit des paquets de chewing-gum, de cigarettes, d’autres chocolats et même deux boîtes de ration de survie.
Notre homme est assis par terre, ses cadeaux dans les mains, un sourire timide et incrédule sur les lèvres, le regard encore méfiant.
Et la je marque le point final de cette comédie, n’ayant plus rien à lui donner, je tombe à genoux face à lui et lui fait l’accolade avec de grande claque dans le dos puis me relève. Et les autres en font autant, chacun à son tour s’agenouille pour faire l’accolade au fermier toujours assis sur le sol. Ensuite nous partons pour rejoindre le camion et notre sergent qui souffre depuis des heures.
A l’approche du MAN le rire nous reprend et il nous faut un gros quart d’heure pour expliquer à Charles Martin que sa section et moi avons attaqué une épandeuse à purin. Il en rigole de bon cœur, je réembarque les héros encore hilares dans la caisse, ferme la ridelle, remet le casier de bières raisonnablement entamé sous mon siège, je lance le moteur et entame une marche arrière de 300 mètres car le sentier est trop étroit pour pouvoir faire demi tour sur place.
Arrivé à la route nous constatons que le fermier et son épandeuse ne sont plus là, une rapide inspection des lieux me révèle qu’il est parti avec ses cadeaux, cela me soulage un peu, ce type là aura un sacré souvenirs à raconter plus tard à ses petits enfants.
Je remonte derrière mon volant et démarre pour rejoindre le bivouac du bataillon. Charly souffre réellement mais malgré ça il me regarde en coin avant de se mettre à rire :
-- « Ric, tu es quand même un sacré numéro, aller attaquer une épandeuse à purin »
-- « Bof, tu sais la forme de cet engin dans la pénombre c’était trompeur »
-- « Mmmouai… J’imagine, et le blindé vous ne l’avez pas aperçu bien entendu ? »
-- « Non chef, pas de blindé ennemi. Que vas-tu dire à ton capitaine ? »
-- « La vérité mon vieux, la stricte vérité, c’est la seule solution parce que mes sbires ne pourrons pas se taire et qu’il faut bien justifier l’emploi des tunderflash ! »
-- « Tu ne crains pas d’être ridicule dans cette histoire ? »
-- « Ridicule moi ? Ma foi non, je suis incapable de marcher, c’est indéniable ! Ridicule ? Non Ric, pas moi... Mais toi mon vieux, toi ! »
FIN