A la manière des vieilles maisons de Sully Prudhomme et en souvenir 'Auprès de mon arbre de Georges Brassens, que ma vanité soit pardonnée

LES VIEILLES PIPES
Je n’aime pas les pipes neuves :
Leur regard est indifférent.
Les anciennes on l'air de veuves
Se souvenant du bon vieux temps. 

Les brûlures de leur fourneau
Semblent les taches d’un vieillard .
Et leur bol, aux reflets porto,
Ont comme un tendre et doux regard.

Leurs odeurs sont hospitalières,
Comme celle du marc vieilli .
Leur prise aux dents est familière.
Elles les ont tant accueillies.
 
Les doigts glissent sur leurs rayures,
Car leur bois n’a plus de secret ;
Le temps a poli leur blessures,
Pour nous éviter les regrets.

Des voix chères dorment en elles.
Et quand leur fumée m'étourdit,
Un souffle d’âmes fraternelles
Remue en moi les anciens ris.
 
J’aime leur foyer noir de suie,
Et ces volutes qui dans l’air,
Par grand soleil ou sous la pluie 
M'ont suivi, été comme hiver.
 
Leur lentille au bout du bec biaise
Mais garde son relief dodu,
Et le tenon dans sa mortaise
Rêve des filtres qu'il n'a plus. 

Tabacs. Pincées; les doigts comptent
En les pressant de haut en bas.
Elles en savent tous les contes,
Les ayant reçus tant de fois.

Comme ces servantes âgées
Qui oeuvrent avec entêtement,
Elles apportent à nos pensées
Des images des jours d'antan.

Et quand tout sera consumées,
Les souvenirs du temps passé
Partiront avec la fumée.
Ils auront péri tout à fait.
 
A la main, chaude, laborieuse,
Elle soutient comme autrefois
La race, inquiète et rieuse, 
Des fumeurs de pipes de bois.
 
J’aime surtout, la forme ronde
Venant en paume se nicher,
Pour y faire passer les ondes
Que son bois a gardé cachées.

J'aime l'anneau de métal pâle
Terminant la tige allongée,    
Où le tenon, un peu ovale,
Garde droit le bol usagé.

Elle ne rompt pas sous la charge. 
Pourtant, souvent ses flancs blessés
Cachent les morsures trop larges
Que les années y ont laissées.
 
Par une force qu’on ignore
Au plus profond de son culot,
Le bois au grand coeur tient encore
Attendant toujours le perlot.

Mais les années passent, sauvages,
Rongeant le bois comme par jeu.
Un jour, dans un dernier outrage,
Un ingrats met la pipe au feu.
 
Si par malheur il livre aux flammes
Une pipe du temps passé,
Le fumeur voit brûler une âme
Dans des éclairs bleus et glacés.
 
Lorsque ses cendres seront mortes,
Mourront entre mille autres noms 
Le souvenir de l'âme forte
Qui lui donnait de l'affection.

Bonne soirée à tous

J'aime aussi énormément mes vieilles pipes, ma complicité avec elles, leurs saveur, leur fidélité, nous...
Très bel hommage à ces belles. Les trois dernières strophes un peu tristes. Sans elles me vient à l'esprit un parallèle:

Merci Octave pour ce sympathique message. Reggiani berce et remue toujours quelque chose dans nos mémoires.
Mes pipes m'ont suivi par le monde et son revenues avec moi au pays. Souvenirs, souvenirs….

punaise c'est vraiment très bon. Bravo William et merci

Merci du partage c'est très beau et très evoquateur.

C est super jolie William merci de se partage

Merci pour vos messages.
Je suis très touché

Très joli et très bien écrit! J'aime beaucoup!

Octave a écrit:

J'aime aussi énormément mes vieilles pipes, ma complicité avec elles, leurs saveur, leur fidélité, nous...
Très bel hommage à ces belles. Les trois dernières strophes un peu tristes.

Très beau poème William! J'apprécie la rigueur stylistique et le rythme. Bienvenue au "Club des Poètes Bouffardeux!" Comme Octave trouvait les dernières strophes un peu tristes, je me suis permis (sauf le respect que je te dois) d'en rajouter deux autres. Elle ne doivent rien à Sully Prudhomme. Mais il est bienfaisant de croire qu'il existe aussi un paradis pour les pipes...

Mais, si au cours de sa carrière,
Elle a accompli pieusement
Sa mission de vieille bruyère,
Lui donnant plein contentement,

Lors, elle a sa place promise
Auprès du Père, en Paradis,
Où saillant de Sa barbe grise,
Elle reviendra à la vie.

William et Jaufré: tout est beau dans ce que vous avez écrit. Je pense que je me suis mal exprimé quand j'ai parlé de tristesse pour les trois dernières strophes de William. C'était pour le parallèle avec Sarah qui est bien vivante. Comme je voudrais qu'elle soit éternelle...

et merci

Alors la, 

Vraiment magnifique, quel hommage !