Je vous ai dit que j’étais retourné à Samarra.Je vais vous raconter dans quelles circonstance.Si cela vous amuse je continuerai.Sinon, il suffira de l’écrire et j’arrêterai aussitôt. Paris
Samedi 24 et dimanche 25 Septembre
Depuis deux jours à Paris. Dans un de ces hôtels où la société a des chambres à l’année pour les personnels en transit ou en court séjour.
J’attends.
Mission simple ; mais urgente : Convoyer du matériel de pompage à Bagdad.
Toujours se méfier des missions simples.
Paris
Lundi 26 Septembre 1983
7 heures. Téléphone.
« Oui, j’écoute .
- Salut. Tu descends.
- 20 minutes »
Un moment plus tard, je sors de l’ascenseur et me dirige vers le lobby.
Mercien est là, planté en plein milieu. Je le connais bien Mercien. Toujours le même : Il y a longtemps, on lui a sûrement piqué un truc. Personne ne sait quoi exactement, mais ce n’est pas possible autrement. Il a toujours cette tête du gars qui est en rogne après quelqu’un ou quelque chose.
Poignée de main. On s’asseois.
« Ces messieurs ?
- Tu as déjeuné ?
_ Pas eu le temps.
On passe commande.
Il pose une serviette sur la table et sort un dossier d’une chemise cartonnée.
Commence alors un long monologue sur l’importance et le contenu de la mission.
J’écoute patiemment. Inutile de l’interrompre. Il reprendrait exactement là où il en était, sans tenir le moindre compte de ce que j’aurais dit.
Il déroule. Me présente des documents qu’il sort comme s’ils étaient tous estampillés « top secret ». Il ne cesse de parler que quand le garçon apporte notre commande. Et il rembraye aussitôt.
Moi, à partir de là, je fais trois choses : je mange, je bois et je hoche régulièrement la tête quand il reprend son souffle.
Ne croyez pas que cela soit juste une petite formalité. Comptez vingt bonnes minutes d’exposé !
Lorsqu’il s’arrête, je lui demande simplement quand je dois partir et comment je prendrai en charge le matériel.
Il pousse un grand soupir. Le professeur qui se rend compte que son élève n’a rien compris et que, oui, c’était prévisible avec un bourrin pareil.
Il repart au début. Je le stoppe net :
« - Je lirai le dossier tout à l’heure.
Je répète :
- Mon vol : Quand et à quelle heure ? »
Hop, pop hop ! Il replonge dans sa documentation. Un peu comme s’il rembobinait une cassette audio pour retrouver le bon endroit.
« - Ton vol part demain à 10 heures à Roissy.
- Qui apporte le matériel ?
Il repart dans son film
- Des gars de chez nous (il me donne deux noms). Et Jo les accompagnera pour les formalités. »
Jo, je la connais bien. C’est Jocelyne. Elle s’occupe de l’administratif sur l’Iraq. Et il y en a !
Belle fille, la petite quarantaine , compétente, débrouillarde et, ce qui ne gâte rien, toujours prête à plaisanter et à rire.
- A quelle heure on se retrouve ?
On gagne un peu de temps car il est dans la bonne zone de la cassette.
- sept heures, porte 4
Formidable ! Je n’ai pas besoin de demander où?
- Eh bien, merci. »
Je récupère le dossier et je me lève.
Du coup lui aussi.
Il a parlé. Rien mangé.
Grand seigneur je l’accompagne jusqu’à la porte de l’hôtel…
Et je reviens finir mon petit-déjeuner.
Retour dans ma chambre. Je pose le dossier sur la table-bureau . Je m’assois sur le lit.
Quelque chose ne colle pas.
On me rappelle pendant mon congé en France, pour, dit le télégramme, convoyer du matériel urgent.
Et on me laisse moisir deux jours à l’hôtel sans aucune explication …
Huit heures et demie. C’est bon.
Je prends le téléphone et j’appelle la maison.
- Bonjour, je pourrais avoir Jocelyne ?
- De la part de qui ?
- William.
Cliquetis, bourdonnements : « Bonjour ! J’étais sûre que tu allais m’appeler
- Vu le messager, c’était inévitable.
On rit tous les deux
-Dis-moi un peu, c’est quoi cette histoire de convoyer d’urgence du matériel de pompage ? Je n’ai rien dit avec Mercien, mais ….
- Ne quitte pas je te passe le boss.
Cliquetis, bourdonnement.
« -Oui. Allo !
- Bonjour Monsieur
- Bonjour (vous le prenez froid ou pressé ?) ; Je vous vois à quinze heures au George V
- Bien Monsieur
Clic. C’est fini.
Je rappelle Jocelyne. Elle en sait plus qu’elle ne m’en a dit.
« - C’est encore moi. Tu es libre à midi ? Je t’invite.
Petit silence. Elle n’est pas gourde. Elle a compris pourquoi.
- D’accord.
- A midi au métro George V.
Nouveau silence. Ça turbine dans sa tête.
- A tout à l’heure. » Et je raccroche.
Je commence à réfléchir à la situation. Téléphone.
Tiens, tiens !
- Oui j’écoute ?
- William ? C’est Jo. On déjeunera plutôt à treize heures. Au George V ça ira ?
- Si tu préfères (et dans ma tête j’entends : Elle t’a bien eu. Tes infos tu vas les payer, dur !)
- A tout à l’heure. Ne me fais pas attendre. »
Jo, elle est charmante, mais elle a dû avaler un chronomètre dans sa jeunesse.
Je repose le combiné.
J’attrape mon brûle-gueule avec qui j’occupe mon temps depuis 2 jours, ma blague -un bijou avec poche extérieure pour le briquet et le tasse braise-, et pose le tout à côté du dossier.
Je m’assois sur la chaise-fauteuil et, consciencieusement, je bourre Totoche.
Je l’allume et ouvre le dossier. Une bonne heure de travail. Du moins c’est ce que j’ai prévu me disant que j’aurai largement le temps de rejoindre Jo pour treize heures.
Je commence à lire . Je me rends vite compte que quelque chose ne colle pas .
Des pages entières de description de matériels et de leurs conditions de mise en service.
Je n’en ai strictement rien à faire.
J’accélère un peu et pars à la recherche des informations qui me sont nécessaires :
Les documents pour la douane?
Qui réceptionne les colis à l’arrivée ?
Qu’est-ce que je fais une fois que j’ai remis le matériel au destinataire. ?
Rien dans le dossier.
???
Je referme. Tout en tirant sur Totoche, je réfléchis et raboute cela avec le rendez-vous de quinze heures.
Je voulais prendre connaissance du dossier pour faire bonne figure avec le boss.
Il n’y a rien. Vingt pages qui détaillent les types d’emballage et les caractéristiques techniques des matériels que je dois convoyer.
Sérieux ! tout y est : poids, dimensions, matériaux utilisés, performances de fonctionnement, pressions limites, qualification des monteurs, etc…etc…
Mercien m’a débité tout ça. Je n’ai pas écouté. Et d’ailleurs, je n’en vois pas l’intérêt. Pour moi.
Et s’il a donné d’autres explications, je n’ai pas écouté non plus.
Du coup, je décide d’aller prendre l’air et de me rendre au George V à pied.
J’y verrai plus clair après le déjeuner avec Jo. J’espère.
J’enfile ma veste et mets le dossier dans mon porte-document pour l’emmener (on ne sait jamais, un espion pourrait venir le consulter en mon absence !). Temps mort. Je hausse les épaules, repose le porte-document, enfourne ma blague dans une poche de ma veste et me voilà parti. Mains dans les poches et pipe au bec
Je prends la rue de Penthièvre.
Bon air, bon tabac, bonne ballade. Il fait beau, presque chaud. Je marche jusqu’au Champs, flâne un moment et, finalement, rejoins le George V
Je m’installe au bar.
Un demi s’il vous plaît. Rafale de marques. Une rousse anglaise. Retour du garçon avec ma bière et des amuse-gueule pour huit jours. Je m‘attends à une bonne secousse à mon portefeuille alors autant en profiter.
Je regarde la faune autour de moi.
Le temps passe. Je tire sur Totoche. Eteinte. Une autre bière…