Le saviez-vous? La fameuse chanson "L'invalide à la pine de bois", bien connue de tous les carabins, prend sa source dans une légende antérieure, celle de "L'invalide à la tête de bois" (voir ici). Mais ce n'est pas tout: cette légende elle-même a pour ancêtre une autre chanson, celle de "L'invalide à la PIPE de bois". Cela n'a rien pour surprendre, quand on sait qu'au XIXe siècle, le mot "pipe" était employé plus ou moins comme synonyme de "tête" - ainsi qu'en témoignent encore les expressions "se fendre la pipe" (pour se fendre la gueule) ou "compter des têtes de pipe" (pour compter des têtes tout court). Après un travail érudit acharné, et moyennant le récolement de fragments de diverses sources - telles que les Chansons de Gaultier Garguille (1573-1633) ou le Recueil des chansons populaires du Nivernais et du Morvan (Achille Millien, tome 5, 1910) - j'ai réussi à reconstituer le texte de la chanson originale, que je vous livre ici.


L’INVALIDE A LA PIPE DE BOIS

Je viens d'voir, c'est un vrai prodige,
En revenant de la Semois,
Je viens d'voir, j'en ai le vertige,
L'invalide à la pip' de bois :
Un homm’ dont la pipe se visse,
Sur sa bouche, comme un manchon.
J’ai vu son tuyau, long et lisse,
Cracher d’la fumée en flocons.

(Refrain:)
Il faut le voir pour le croire,
Venez y voir, venez y voir,
Il vous épatera, bourgeois,
L'invalide à la pipe de bois, bois, bois,
L'invalide à la pipe de bois.

On lui planta cet appendice
Entre le nez et le menton
Pour guérir une cicatrice
Qu'il avait ramené du front.
Et depuis lors, cet homme étrange
Conserve dans plusieurs étuis
Diverses pipes de rechange
En bois de différents pays.

(Refrain)

Si souvent il pétune à vide
(Avec sa pipe en pétunia)
Ou bégaye comme un timide
(Avec sa pipe en bégonia)
Les filles tombent sous son charme
Dès qu’il fume celle en rosier.
Et avec celle en bois de charme,
Il les met tout’ dans son panier.

(Refrain)

Sitôt qu’il a celle en Mélèze,
Il met les yeux sur Alicia.
Il se croit fortiche et balèze
Avec sa pipe en forsythia.
On dit que la belle Cerise
Lui taill’ des pip’ en cerisier.
Qui valent bien cell' de Denise
Avec ses pip' à six deniers.

(Refrain)

Avec sa pipe en bois de chêne,
Sa fumée a un goût de gland.
Mais dès qu’il a sa pipe en frêne,
Ça le freine dans ses élans. .
Il dresse fièrement sa pine
Quand il fume celle en bambou,
Et de sa pipe en Aubépine
On voit difficil’ment le bout.

(Refrain)

Il se plaît à prendre la pose
Avec sa pipe en baobab,
Et avec celle en bois de rose
On le prendrait pour un nabab.
Le caprice de ses volutes
Trahit sa pipe en câprier.
Mais s'il cogne comme une brute,
C'est qu'il a celle en cognassier.

(Refrain)

Il a mis le feu à sa trogne
En fumant celle en pin d'Alep.
Il titube comme un ivrogne
Quand il tète sur celle en cep.
Quand il a celle en sycomore,
Il peste, il geint, il morigène.
Il est terrible comme un Maure
Quand il fume celle en ébène.

(Refrain)

Si vous l'entendez qui susurre
C'est qu'il a sa pipe en sureau.
Ne le mettez jamais en boule
Quand fume celle en bouleau.
Quiconque s'y frotte s'y pique
Quand il brandit celle en cactus.
Et son tuyau est une trique
Quand il a celle en hibiscus.

(Refrain)

Derrière celle en loupe d’orme,
Sa petite pipe en bonsaï
Paraît une bouffarde énorme.
Enfin, ce savoureux détail :
Quand il a sa pipe légère,
Taillée dans l'arbre à papillons,
Des nuées de lépidoptères
Viennent le butiner en rond.

(Refrain final):

Il faut le voir pour le croire,
Venez y voir, venez y voir,
Il vous épatera, bourgeois,
L'invalide à la pipe de bois, bois, bois,
L'invalide à la pipe de bois.

Merci pour le partage et bravo pour les recherches !

Merci Jaufré !

J'aime bien ce passage, va donc savoir pourquoi...  

On dit que la belle Cerise
Lui taill’ des pip’ en cerisier. 
Qui valent bien cell' de Denise 
Avec ses pip' à six deniers. 

Gaultier Garguille serait fier de toi
Et qu'ajouter sinon ce petit quatrain que tu reconnaistras

Privilège du Roy 



Bravo et merci pour le cadeau.

Merci à tous!

Brase d'Anjou a écrit:

J'aime bien ce passage, va donc savoir pourquoi...  

On dit que la belle Cerise
Lui taill’ des pip’ en cerisier. 
Qui valent bien cell' de Denise 
Avec ses pip' à six deniers. 

C'est sans doute la musicalité du vers. Je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre...

william1941 a écrit:

Gaultier Garguille serait fier de toi (...)

Privilège du Roy 

Ce compliment, William, me va droit au coeur!
Gaultier Garguille a raison: à bien y réfléchir, je vais demander à M. le Maire de changer mon étiquette de "poète, barde, troubadour" en "bouffon, barde, troubadour", qui me paraît plus appropriée.
Pierrot, peux-tu t'en occuper?

Jaufré Cantolys a écrit:

Merci à tous!

Brase d'Anjou a écrit:

J'aime bien ce passage, va donc savoir pourquoi...  

On dit que la belle Cerise
Lui taill’ des pip’ en cerisier. 
Qui valent bien cell' de Denise 
Avec ses pip' à six deniers. 

C'est sans doute la musicalité du vers. Je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre...

william1941 a écrit:

Gaultier Garguille serait fier de toi (...)

Privilège du Roy 

Ce compliment, William, me va droit au coeur!
Gaultier Garguille a raison: à bien y réfléchir, je vais demander à M. le Maire de changer mon étiquette de "poète, barde, troubadour" en "bouffon, barde, troubadour", qui me paraît plus appropriée.
Pierrot, peux-tu t'en occuper?

Poinct ne souscrit à vos dires Messire!
Ces quelques vers sont de Fardoil
Qui onc de boufon se réclame
Mais boufonna ces quelques vers
Pour advertir Princes et Pairs
Des chansons qu'écrivit Garguille.
Quand votre tête est à l'endroit
Cy nul ne le peut contredire,
Vos vers, vos chants font bien de vous
Un poète.
Et quelques fois, offrant du rire
Vous boufonnez quelques soties
En truculentes apostilles
A ces poèmes inspirés
Que votre bouffarde, ça! Muse
A travers les volutes inscrit
En beaux vers dans votre pensée.