La récente « blague » (à tabac!) postée par Daymonts sur le fil « Mort de rire » m’a incité à quelques recherches sur l’étymologie et la double acception du mot « blague »:
https://www.alanoblebouffarde.com/t14107p725-mort-de-rire-parce-que-j-ai-le-sens-de-l-humour#429651La grande question est : les deux acceptions du mot « blague » dérivent-elles de la même étymologie ? Et si oui, laquelle de ces deux significations est-elle à l’origine de l’autre ? La « blague à tabac » dérive-t-elle de la « blague pour rire », ou l’inverse ?
Il semble qu’il y ait deux écoles. Selon l’école dominante (
Dictionnaire de l’Académie Française, ou
Etudes de philologie comparée sur l’argot de Francisque Michel 1856...) les deux mots auraient effectivement la même origine. Ils dériveraient du néerlandais « balg » qui signifie « sac » ou « sachet ». La « blague à tabac » serait apparue en premier pour désigner un « sac à tabac » (
Dictionnaire Cadet de Gassicourt, 1721). Puis au début du XIXe s, serait apparu, d’abord dans l’argot (
Dictionnaire du bas langage de Charles-Louis D'Hautel, 1808), puis en langue officielle (
Académie Française, 1842) le sens dérivé de « plaisanterie ».
Le lien entre ces deux significations est loin d’être évident. On allègue la notion de « gonflé, boursouflé » pour opérer le rapprochement - la blague à tabac semblant être "gonflée d'air" (CNRTL), de même que la « blague » (pour rire) serait un discours « creux » et « rempli de vent ». Cette explication (n'en déplaise à nos Immortels) me laisse un brin perplexe. Personnellement, quand ma blague est vide, elle est vide. Et quand elle est pleine, sacrebleu ! elle est pleine de tabac. Jamais je ne l’ai vue pleine d’autre chose, et encore moins de vent. Aussi la comparaison d’une « blague » (à tabac) avec une baudruche pleine de vent, pour expliquer la « blague » (pour rire), ne me convainc nullement.
Je préfère grandement les tenants de la deuxième école, qui à l’instar de Charles Nisard, assignent à la « blague » (pour rire) une origine toute différente de celle de la « blague » (à tabac). Remontant au XVIe siècle, ils retrouvent le mot (bien attesté) de « bragueur » qui signifie : hâbleur, gausseur, vantard. Ainsi dans Rabelais : «
Yssant de son palays, il faisoyt emplir les gibbessieres de ses varlets, d’or et d’argent monnoyé, et, rencontrant par les rues quelques mignons braguars et mieulx en poinct (...) par gayeté de cueur leur donnoyt grandz coupz de poing en face. »
Le mot "bragueur" dériverait de « bragard ». Selon le philologue Jean Nicot (bien connu des fumeurs de pipe pour avoir introduit le tabac en Europe, tiens, comme le monde est petit!), ce mot signifierait :
elegans homo, homme élégant (
Thresor de la langue françoyse, 1606). Ce mot vient lui-même de « brague », qui signifie en vieux-français « pantalon » (voir en français braies, braguette, débraillé, etc..., et en provençal
cago-braïo). Le lien entre « brague » et « bragueur» s’explique aisément par le fait qu’en général, les hommes sûrs d’eux-mêmes portent fièrement leur pantalon. Ils en viennent ainsi à débiter moult racontars, saillies, rodomontades, calembredaines et autres fariboles, qu’on peut aisément regrouper sous le terme générique de « bragues ». Il suffisait ensuite de substituer une consonne liquide à une autre (le « r » en « l ») pour obtenir « blague ».
Ainsi ce serait pure coïncidence – ou convergence évolutive, pour parler comme les darwinistes – si
« blague » (à tabac) et « blague » (pour rire) s’écrivent et se prononcent
in fine de la même façon. L’un dérive de « sac » (en néerlandais) et l’autre de « brague » (en vieux français). Cela n’empêche évidemment pas le fumeur de pipe d’avoir de l’humour. L’usage de la « blague » (à tabac) reste toujours une excellente occasion de débiter quelque « blague » (pour rire) bien sentie. Ne serait-ce que pour rendre hommage à ce bon vieux Jean Nicot, grand linguiste et grand bouffardeux devant l’Eternel, qui eut le double mérite de nous révéler à la fois l’origine du mot « blague » (pour rire) et d'importer chez nous l’usage de la « blague » (à tabac). Loué soit son nom!