Ca m'a pris un peu de temps mais j’ai cherché qui pouvait être ce mystérieux fabricant parisien de pipes d’écume L.L . J’ai fouillé un peu dans ce que j’avais comme documentation, et parmi les pipiers parisiens ayant pignon sur rue à la fin du XIXème, je pense avoir retrouvé celui que nous cherchons : il pourrait s’agir de Leopold Lichtblau.
D’abord ses initiales correspondent, et je n’en ai pas trouvé beaucoup (à part Louis Lavisse mais ce dernier est venu beaucoup plus tard, milieu à fin du XXème siècle) . Ensuite il était grossiste, ce qui expliquerait pourquoi on ne trouve pas son nom à l’intérieur des écrins, le détaillant y mettant de préférence le sien. Enfin, il a exercé son commerce de l’après guerre de 1870 à celle de 1914-1918, période faste de la pipe d’écume.
Il y a très peu d'infos à disposition, mais même à l'époque on laissait des traces, et j'ai donc cherché les éléments les plus susceptibles d'en contenir : la publicité et la généalogie :
La publicité, je l'ai trouvé dans le Bottin (annuaire parisien du commerce des années 1850 à 1930) à la rubrique pipiers. Quand à la généalogie, j'ai trouvé des éléments dans des cercles de généalogie viennois. Vive internet. Il y avait beaucoup de Lichtblau, mais seul un Leopold avait un Jakob, un Rudolf et un Adolf pipiers à Vienne. Les coïncidences, ça existe, mais quand même
!
Voici donc quelques éléments sur Leopold Lichtblau, pipier parisien du XIXème siècle :
Son père, Jakob Lichtblau, et sa mère, Maria Müller sont tous deux originaires de Senica en Slovaquie, dans les Carpathes, à l’époque en Autriche-Hongrie. Ils ont dû se marier vers 1833-1835, puis après la naissance de leur premier enfant, Ignatz à Senica, sont allés à Vienne où l'on retrouve leur trace avec la naissance de leur second enfant, Rudolf, le 16 avril 1837.
Viendront ensuite Adolf en 1840, Antonia en 1842, Theresia en 1844 et enfin Leopold le 11 juin 1848, le petit dernier.
On retrouve le père et les deux frères aînés comme fabricants et revendeurs de pipes d’écumes à Vienne vers 1870, le père Jakob au 78 Hundtsthurmerstrasse, le second des fils, Rudolf, au 8 Kopernikusgasse et le troisième, Adolf, au 67 Wienstrasse. Je n’ai pas retrouvé ce que faisait l’aîné, Ignatz.
Le petit dernier, Leopold, ayant sans doute trouvé plus attrayant de jouer les voyageurs de commerce à Paris, et également plus intéressant pour la famille plutôt que d'ouvrir une quatrième fabrique de pipes à Vienne, vient s’installer à Paris à la fin de la guerre de 1870. On trouve ainsi son nom dans le Bottin de janvier 1873, associé à un M. Gerin, dans une annonce où il vend en gros les pipes que son père fabrique au 78 Hundsthurmerstrasse à Vienne.
La société est installée au 17 rue de Lancry dans le 10eme arrondissement.
En remontant l’année d’avant, le nom de Lichtblau n’apparaît pas encore dans le Bottin. La constitution de la société a donc du se faire au cours de l’année 1872. La même annonce paraît dans les Bottins de janvier 1874 et 1875.
Et puis les deux associés décident vraisemblablement de partir chacun de leur côté, puisqu’on peut découvrir dans l’édition de janvier 1876 deux annonces :
Son associé s’est installé Boulevard Magenta, et Leopold est désormais domicilié au 30 rue d’Enghien, toujours dans le 10ème arrondissement. Mais cette fois il commercialise à la fois les pipes de son père et celles de ses frères :
On peut imaginer plein de raisons à leur rupture : désaccord financier, désaccord sur les fournisseurs H. Gerin se fournissant toujours à Vienne mais pas forcément dans la famille Lichtblau, ou bien d’autres choses encore, mais nous ne le saurons jamais.
On peut noter au passage qu’à cette époque, la bruyère commence à peine à se diffuser et c’est la grande époque des pipes en écume dans de nombreux pays d’Europe. Des pipes de prestige, souvent enrichies d’argent ou d’or, et d’une possibilité de sculpture infiniment plus fine que la terre ou la bruyère le permettront jamais.
Dans le Bottin de janvier 1879, c’est la même publicité, les mêmes fournisseurs familiaux, mais le nom est écrit plus gros :
En 1881, Leopold Lichtblau s’installe au 12 rue Taylor, toujours dans le 10ème arrondissement.
Ses affaires doivent prospérer et il doit être reconnu par ses pairs en tant que pipier puisqu’il est choisi comme membre du jury pour l’exposition de Paris de 1889 (celle de la Tour Eiffel). Ce qu’il fera fièrement paraître dans sa publicité dans le Bottin de janvier 1891. Sommer (des pipes Sommer) et Maréchal et Ruchon (les pipes GBD) en feront d’ailleurs autant lorsque ce seront eux qui seront membres du jury à l’exposition suivante, en 1900 (pour l'instant ce sont eux qui ont gagné les médailles d'or en 1889
).
A noter qu’il ne représente plus que deux maisons viennoises et non trois : Jakob Lichtblau und sohn, et Rudolf Lichtblau. Le père, Jakob, étant mort en 1889, on peut imaginer qu’Adolf a repris la boutique de son père en abandonnant la sienne. Ou autre chose…
En 1894, Léopold tient toujours son commerce au 12 rue Taylor , mais dorénavant il ne se contente plus d’importer des pipes mais il en fabrique, ainsi qu’il le précise dans son encart publicitaire du Bottin de janvier :
Notons au passage qu’il a le téléphone, et qu’il n’importe plus que les pipes de son frère Rudolph.
Il est à cette époque marié à Céline Weill dont il a eu deux enfants, Lucien en 1892 et Jane en 1894. Sur les actes de naissance, il est déclaré comme fabricant.
Notons aussi qu’il a été naturalisé français par décret du 17 décembre 1894. Sur cet acte, il apparaît comme négociant.
Il vend donc des pipes (toujours en gros, pas au détail) et en fabrique également ainsi que « tous articles en écume et ambre ». Il fait apparaître une spécialité d’ambre recomposé.
Ensuite rien de bien frappant au tournant du siècle. Ses réclames ne changent guère, on peut noter toutefois qu’en 1909 son adresse change et qu’il est dorénavant domicilié 5 rue Pierre Chausson, toujours dans le 10ème arrondissement. et quasiment dans le même pâté de maison.
Il a d'ailleurs toujours été évolué dans un périmètre de quelques centaines de mètres de la rue de Lancry à la rue Taylor et à la rue Pierre Chausson. Seule la rue d'Enghien est un peu plus loin (à 5 mn à pied
!)
En 1913, sa raison sociale change, puisqu’on voit apparaître Lichtblau L.& A.
Je n’ai pas réussi à découvrir qui était ce A. Lichtblau.
Ce n’est pas l’initiale de son fils aîné, qui s’appelait Lucien René et qui d’ailleurs deviendra militaire. Peut –être sa fille, dont le troisième prénom était Anna ? Ou un neveu qu’il a fait venir de Vienne ?
En tout cas dans sa nouvelle publicité Il travaille sur commande, il a une spécialité d’ambre vert et il a racheté la marque J.Foegly, une marque assez ancienne (anciennement S. Graef dans les années 1870) et spécialisée dans les pipes d’écume également.
La Guerre passe, puis l’Après-guerre. Léopold Lichtblau meurt en 1923 à 75 ans. Personne de sa famille ne lui a succédé.
La maison Lichtblau est reprise deux ans plus tard par S&E Blum qui font paraître un encart impressionnant par sa taille dans le bottin de janvier 1925 :
La maison s’est installée 47 rue Oberkampf, dans le XIe arrondissement, et fabrique également des colliers d’ambre et sans doute de la bijouterie. Il s’agit toujours de vente en gros, c’est d’ailleurs précisé sur l’encart publicitaire.
Pour la première fois on voit apparaître deux marques, un S.E.B. dans un ovale pour S& E Blum et un LL dans une étoile de David pour Léopold Lichtblau. On voit également apparaître la marque Foegly.
La référence à la similitude de noms « se méfier des similitudes de nom » en haut de l’encart vient vraisemblablement d’une publicité pour les pipes Lichtblau mais celles de Rudolf, à Vienne, qui sont alors importées à Paris par un Monsieur Roncelet boulevard de Picpus. Il est fort possible que MM. Blum aient eu leurs propres fournisseurs d’écume à Vienne et n’aient pas souhaité poursuivre la collaboration avec Rudolf Lichtblau.
La maison Blum n’a d’ailleurs pas continué longtemps, puisque la marque est presque immédiatement rachetée par un certain Monsieur Mardon rue du Temple.
On ne trouve plus d’ailleurs aucune référence aux pipes S.E.Blum ou J. Foegly dans le Bottin de 1929. Mais au tournant du siècle, la pipe de bruyère avait sonné le glas de la pipe d’écume, passée de mode.
Je n’ai pas trouvé plus d’information sur Leopold Lichtblau
. En refeuilletant les Pipiers Français de Gilbert Guyot, j’ai d’ailleurs retrouvé page 26 une publicité insérée par les frères Blum, repreneurs de Lichtblau, et assez identique à celle parue dans le Bottin de 1926. Gilbert Guyot l’orthographie d’ailleurs Lichtblaw par erreur dans sa liste et parle de ses fils pipiers à Vienne alors qu’il s’agissait de son père et de ses frères. Mais à l’époque à laquelle il a écrit son bouquin si précieux, il n’y avait pas internet et l’accès aux documents était infiniment moins facile.
Je n’ai malheureusement pas davantage trouvé de pipe signée Lichtblau (ni même L.L.). Il est vraisemblable qu’étant grossiste et non détaillant, il n’ait pas fait figurer son nom sur les pipes qu’il vendait, et que bien des étuis à pipe portant des noms connus ou non ont contenu en fait des pipes Lichtblau.
Voilà une piste pour ce mystérieux L.L. Je pense vraiment qu'il s'agit de lui, mais je peux me tromper, bien entendu. Si quelqu'un a une autre hypothèse à proposer, il est le bienvenu. En tout cas j'ai pris beaucoup de plaisir et d'intérêt à cette petite recherche. J'espère qu'il en a été de même pour vous.