Vendredi 18 octobre,
payé de retour...Tout bien considéré, le couple de Dragons, Christine et Marc ont eu raison de m’inciter à prendre une journée de congé quand je suis arrivé de Bretagne. Oui, bien entendu, surtout après le téléphone de Tabadoc, ils se sont payé ma tête au sujet de tout ce que j’avais laissé en Bretagne, soit chez Bretonnette et Tabadoc, soit dans la voiture et sans doute également au gîte où j’ai passé deux jours. Peut-être même que j’en ai aussi laissé en Vendée chez Maman et Papa Piagru.
Heureusement pour moi, je n’ai pas oublié le GPS de NoSmokingDragonette. Quant au téléphone, disons que je suis davantage embarrassé par les numéros de téléphone que j’y ai laissés que par le téléphone lui-même qui ne m’aurait, de toute façon, été d’aucune utilité chez moi. Alors... Enfin, avec les enfants qui, comme tous les enfants, ne manquent jamais une occasion de rigoler, ça ne manquera pas d’animer la soirée, jusqu’à ce que SmokingDragon finisse par me demander mes projets pour le lendemain.
— Pas le Père Lachaise j’espère !
— Non, de toute façon, s’il a une part du Père Lachaise qui me fascine, y a une autre part qui me déçoit. Pour moi je suis heureux, j’ai de quoi remplir ma promesse à Berny. Pour le reste, je suis conscient que tu as fait des efforts aujourd’hui même si je suis aussi conscient que je ne saurai jamais le fin mot de l’affaire. Mais je ne t’en demanderai pas davantage. Autrement je te dirais de m’y conduire et de venir me chercher en fin de journée. Non, pas de Père Lachaise. Qu’est-ce que toi t’aurais envie de me faire voir ?
— Que dirais-tu de la civette du Palais royal ? La Sainte-Chapelle ? Tu semblais déçu de partir de Notre-Dame, on pourrait même y retourner. Tant que tu ne me demandes pas de retourner au Père Lachaise...
—Je te l’ai dit, je n’ai pas vu Piaf, ce que j’aurais voulu, j’ai trouvé les tombes de Molière et Lafontaine limite minables, c’est assez pour moi. Je suis conscient qu’on ne peut pas tout avoir et comme c’est mon dernier jour à Paris je préfère en profiter pleinement. Je te laisse donc les commandes, tant que tu m’emmènes pas voir la tour Eiffel...
—Qu’est-ce que t’as contre la tour Eiffel ?
—J’ai rien contre, mais on en a par milliers, chez nous. Différence, on appelle ça des pylônes. Pas besoin de venir à Paris pour voir ce qu’on a chez nous. C’est vrai que Notre-Dame serait intéressant. De toute façon, après-demain, je pars pour l’Alsace, mon voyage commence à tirer à sa fin...
— À cet effet-là, sois à ton aise, si par hasard ça va pas en Alsace, on ne sait jamais comment tourneront les rencontres virtuelles, si ça marche pas, donc, hésite pas à revenir, ta chambre t’attend.
— Merci, c’est très chic de ta part. Mais je ne pense pas avoir de problème.
— Je te l’ai dit, on ne sait jamais à quoi s’attendre avec les amitiés virtuelles.
— Je sais, Marc. Mais il y a plus ou moins une dizaine d’années que nous nous connaissons, si tant est qu’on puisse dire qu’on se connaît. Alors je ne vois vraiment pas quel problème pourrait surgir.
— De toute façon, l’offre est là et elle est ferme. Au besoin, reviens à Paris, tu as ta place et ça te fera davantage de temps pour visiter ce que tu aurais eu envie de voir et que, faute de temps... Allez, en attendant, allons nous coucher...
Sitôt le petit déjeuner absorbé, les bises et caresses distribuées à la volée, Lucie me rappelle qu’à Paris on doit agir comme les Parisiens. Je m’exécute donc de bonne grâce et lui fais la bise. Lucie a très rapidement démoli les ponts pour ce qui est des réserves et j’aime cette familiarité qui démolit la gêne. De toute façon, c’est moi qui lui ai demandé comme aux autres dragonneaux, d’éviter les vouvoiements s’ils s’adressent à moi.
(C’est une habitude que j’ai depuis longtemps de refuser les vouvoiements, même et surtout quand on fait état de « marques de politesse ». Habituellement, j’argue à l’effet qu’on peut tout à fait mépriser une personne qu’on vouvoie tout en ayant un immense respect à l’endroit de la personne qu’on tutoie. J’ai personnellement le tutoiement facile — Papa Piagru prétend que ça vient de mes racines Vendéennes — et n’ai nullement l’impression de manquer de respect à qui que ce soit en les tutoyant, bien qu’avec certaines personnes ce me soit impossible. Ma belle-mère en est un exemple.)
Bref sitôt le petit déjeuner ingurgité, SmokingDragon et moi partons, discutant des découvertes et des manquements de la veille. Et de ces manques, rien ne sert de se leurrer, ils sont tous situés au Père Lachaise, la déception face au sarcophage de Molière, l’incapacité de trouver le cercueil de Piaf et tous les autres...
Et nous arrivons au centre-ville, un quartier que je serais bien incapable d’identifier de moi-même, bien que les habitués de Paris y arriveront facilement, très facilement même. SmokingDragon m’avait très clairement identifié l’édifice, mais la mémoire est une faculté qui oublie... bref j’aperçois, comme un clin d’œil, une affiche qui vaut bien l’impossibilité de découvrir son cercueil au Père Lachaise :
Avec cette superbe affiche, advienne que pourra, ma journée ne saurait être perdue. Je suis heureux, je vole littéralement et mon compagnon en est pleinement conscient. Il ne savait évidemment pas que nous nous retrouverions devant cette affiche, d’autant moins une affiche d’un tel format. Par ailleurs, les circonstances font que Piaf n’a pas pour lui la même importance que pour moi. Compte tenu de mon âge, j’ai été bercé par la voix de Piaf, j’ai été, comme des millions de gens, effondré par sa disparition. Quoique intemporelle, éternelle diront certains, Piaf appartenait déjà au passé lorsque SD était gamin. La donne est donc tout à fait différente pour nous deux. Je ne prétends évidemment pas qu’elle n’a pas d’importance pour lui, mais la perception que nous en avons est différente, c’est incontestable.
Au moment de poursuivre la rédaction de ce dossier, je viens d’apprendre avec effroi le sauvage attentat de Paris. Après ça on viendra nous dire de ne pas être superstitieux, que le vendredi treize est un jour comme les autres. Peut-être. Mais pour moi, le vendredi treize novembre deux mille quinze est gravé à jamais dans mon esprit comme une journée effroyable, de celles que je n’aurais jamais voulu voir exister. Avant 2013, Paris était une ville comme les autres grandes villes que je n’avais jamais visitées. Belle, certes, mais froide, sans âme, je dirais presque inerte.
Oui, je sais. Avant qu’on ramasse les cailloux pour me lapider devant le Conseil d’État, prenons le temps de relire le précédent paragraphe.
Avant 2013 ; parce qu’il y a un « après ». Je revois encore les endroits visités en compagnie de mon hôte, SmokingDragon, des lieux qu’il m’a permis de découvrir, au moins un que moi je lui ai fait découvrir, ce qui est un comble, mais enfin, ne brûlons pas les étapes. Je sais bien, je n’ai rien vu de Paris. Comment pourrais-je prétendre le contraire quand je n’y ai pas vécu une semaine complète en deux visites ? Mais j’en ai assez vu pour être tombé en amour avec elle. En fait je dirais qu’une seule ville la supplante à mes yeux, la ville de Québec. Bon d’accord, je reconnais une part, même une bonne part de chauvinisme. Mais si les Parisiens ont le droit d’être chauvins, j’ai bien le droit de l’être un peu, non ?
Certes et c’est incontestable, Paris est un véritable joyau, comme bien des villes millénaires. Les monuments, les dorures même extérieures foisonnent, mais il est incontestable qu’elle a un climat nettement plus clément que les villes québécoises. Dorer une clôture comme les pointes de celle du Conseil d’État représenterait un travail à reprendre à tous les ans. Je serais curieux d’avoir l’opinion de Berny : peut-il imaginer, avec notre climat, une pareille horloge chez nous ?
ou encore des lanternes comme au ministère de la Justice?
Ah pour être beau c’est beau, bien sûr. Mais avec 8 millions d’habitants on peut se permettre davantage de luxe qu’avec 300 000. C’est ce qui fait que, d’un plan purement touristique, Paris est plus accrocheuse que Québec. Mais, comme dirait le roseau de Lafontaine, attendons la fin, attendons de voir ce que sera Québec dans quinze cents ans. Ah oui, j’oubliais, vous serez devenus aphones, contrairement à moi. C’est, mes chers amis, l’avantage du Passeur...
Sérieusement, puisque je ne suis pas davantage immortel que qui que ce soit d’entre vous, gardons les deux pieds sur terre. Il est évident que, d’un plan touristique, si on fait abstraction du paysage à proprement parler, une ville de 300 000 habitants ne peut rivaliser en terme d’infrastructures avec une autre de 7 ou 8 millions. Croire le contraire serait faire preuve d’ignorance crasse. Reste néanmoins que Québec... bon, Québec c’est Québec, même si ce n’est pas Paris. Au passage, vous ai-je déjà dit que j’aime Québec ? Quoi ? Je suis supposé parler de Paris ? D’accord, bien que ce ne soit pas juste parce que je suis à peu près convaincu que vous la connaissez plus et mieux que moi.
Tiens, tant qu’à montrer une photo du Palais de Justice ce qui tend à prouver que nous sommes allés, il va sans dire que je n’allais pas voir le ministre. Non, pour ceux qui ne le savent pas encore, je souligne que pour aller visiter la sainte Chapelle, il faut précisément passer par le Palais de Justice où, évidemment, il faut montrer patte blanche. Quoique ladite chapelle soit en rénovation au moment de notre visite, ça demeure un des joyaux de Paris. C’est dire qu’on n’y entre pas comme dans un moulin à vent.
Petite anecdote au passage, à cet effet, les anciens de notre Manoir ne sont pas sans se souvenir que nous avons profité de la rencontre multiple à saint Claude pour offrir, en guise de remerciement à SmokingDragon un magnifique tasse-braises. Or, il a ledit tasse-braises dans ses poches. Nous savons tous que tout outil de fumeur que ce soit, pour un individu de mauvaise foi, ça demeure un outil précieux pour mutiler des joyaux, tout comme ça peut devenir une arme. Deux choix lui sont donc offerts : soit on le lui saisit ― évidemment sans possibilité pour lui d’en reprendre possession après la visite ― soit il va le mettre en dépôt à
l’Annexe, un restaurant de l’autre côté de la rue où il n’est pas connu et ne connaît évidemment personne...
Pour faire une histoire courte, inutile de préciser qu’il a choisi la deuxième option et a récupéré son joyau après notre visite.
Je ne peux pas dire ce qui fascine la moyenne des visiteurs de la sainte chapelle, si ce sont les dorures, la hauteur de la voûte ou quoi que ce soit d’autre. Personnellement, ce sont les vitraux, immenses, démesurés, qui donnent littéralement l’impression de supporter la toiture. Certes, l’ensemble est sans contredit une vraie merveille architecturale. Je ne fais même pas mention comme on en fait état sur Wikipedia, qu'il n'a fallu que sept ans pour son édification quand, pour sa part, à titre d'exemple, Notre-Dame en a demandé plus ou moins deux siècles.
C’est l’évidence même, et je fais abstraction des trésors que cette chapelle est censée avoir contenus, perdus à la Révolution, puisqu’on le sait déjà, je ne crois pas en ces choses. Plutôt que de m’en moquer, pour une fois je préfère me taire... Un saut de puce à l’église saint Germain l'Auxerrois pour y poursuivre mon « pèlerinage architectural ». Pas longtemps parce que Dragon est pressé. Je le répète, c'est ma dernière journée à Paris et il y a tant à y voir, tant de choses que Dragon voudrait me faire découvrir. Et je rappelle que je lui ai plus ou moins donné carte blanche.
Dragon a décidé de m’emmener à la civette du Palais royal. Malheureusement c’est comme pour l’histoire des coquelicots, ce n’est pas parce que je suis à Paris que je vais me limiter à regarder mes souliers en marchant, pour voir s’ils acceptent de passer devant chacun leur tour. Non, ils sont habitués, depuis le temps que je les porte, je leur fais confiance sans avoir nécessairement besoin de les surveiller. Bien dressés, ils avancent devant, chacun leur tour sans jamais se quereller quant à savoir lequel des deux a préséance. De ce fait, je regarde un peu partout autour de moi et, tout à coup, que vois-je ?
C’est l’autre côté de la rue, mais je n’ai rien à cirer de pareils aléas. La civette du Palais royal ? je m’en fous...
royalement, si vous voulez savoir. Et là j’entends un cri de mort... enfin, un cri d’agonie, si vous préférez.
— Kestu fés là ?
Je me retourne et je vois mon copain Dragon tout paniqué avec les bras articulés comme s'il tentait d'ajouter à la parole le texte sémaphore. Je lui montre l’édifice devant moi, nettement plus important pour moi que la Civette du palais, toute royale qu’elle puisse être. De toute façon, je sais d’avance qu’ils n’ont pas de CBR et je me suis apporté du tabac pour au moins deux mois, alors...
— Mais c’est la Comédie-Française.
Juste à le voir, je comprends que pour lui, la Comédie-Française ce n’est qu’un théâtre parmi tant d’autres. Quoi de plus agréable que d’enseigner à un Parisien une tranche des trésors de Paris !
—Tu me raconteras tout ça plus tard. Pour le moment, petit a), ce n’est pas ton stationnement à Roxton Falls ici, tu es sur la rue saint Honoré, alors enlève-toi de dans la rue. Petit b), nous allons à la civette du Palais royal et nous irons plus tard à ta comédie.
—MA comédie, on voit bien que tu ne comprends pas. Alors d’accord, je m’enlève de la rue si tu es d’accord pour venir à la Comédie-Française après. Et puis saint Honoré, je la lui volerai pas sa rue, je ne l'emprunte même pas, je me contente de la traverser.
Puisque j’ai sa parole et qu’un Dragon n’a comme moi qu’une parole, j’accepte de le suivre à la civette, mais je trépigne d’impatience. C’est un peu comme si on disait à un enfant « si tu es sage chez le dentiste, si tu fais ça comme un grand, je t’emmènerai au cirque ou au jardin zoologique et tu pourras faire un tour de manège ».
Le problème c’est que j’ai beau aller à la civette en question, je ne suis nullement attentif. Je regarde quelques objets et je les trouve affreusement dispendieux. Peut-être que je me leurre, j’aimerais sincèrement qu’on me corrige si tel est le cas, mais à regarder les prix, j’ai un peu l’impression que c’est une arnaque pour touristes. Et puis, pour être honnête, je ne suis nullement attentif. Je n’ai qu’une unique idée en tête: l’autre côté de la rue. J’ai beau, depuis que je suis en France, agir comme un Français, ne pas chercher à traduire les prix en dollars, les objets que je vois devant moi me semblent tape-à-l’œil et hors de prix alors je me concentre sur la Comédie-Française que je dévisage comme si je craignais qu'elle s'envole sitôt que je regarde ailleurs. Fort heureusement pour moi, ce n’est pas une femme, parce que je me ramasserais une baffe et me ferais taxer d’obsédé.
Nous sortons finalement de la civette et Marc me demande ce qu’il y a de particulier à « ma comédie ». Je lui explique donc la symbolique de la Comédie-Française, créée comme l’indiquent les banderoles en 1680, lui avoue que, tout compte fait, Molière ne peut pas être au Père Lachaise parce qu’il est ici même. J’ajoute que la troupe possède même encore, dans cet édifice, le fauteuil dans lequel Molière jouait
le Malade imaginaire lorsqu’il a été pris d’une quinte de toux et s’est mis à cracher le sang, ce qui allait finalement l’emporter après la troisième représentation. Il est évidemment incrédule. Quoi, un fauteuil de théâtre de quoi, 350 ans? Comment la chose pourrait-elle être possible?
Il a beau n’avoir qu’une parole, mon ami Dragon me propose, tant qu’à être plus ou moins dans le même édifice — j’avoue que je m’y perds un peu dans les racoins du Palais-Royal on m’excusera donc de bon cœur si je me fourvoie — il me propose, avant d’aller à la Comédie-Française, d’aller faire un tour à l’Oriental, mais je suis trop estomaqué pour avoir vraiment envie d’entrer. Du choix ? Non, ce n’est plus du choix, à vrai dire c’est un véritable capharnaüm. Ni plus ni moins que la caverne d’Ali Baba. Heureusement pour moi, je n’aurai pas trop longtemps à attendre, nous sommes « contraints » à faire du lèche-vitrines parce qu’il y a une affiche dans la porte mentionnant une fermeture momentanée. Je suis néanmoins étourdi par l’effarante quantité d’articles pour fumeurs, fumeurs de tueuses, de narghileh, ou de pipes. C’est à se demander comment le propriétaire fait pour tenir un inventaire de son matériel. Et la maison est ouverte depuis 1818 !
Certes, je n’avais pas songé venir à la Comédie-Française dans mes plans de voyage, mais puisque nous sommes devant... Molière a beau n’avoir pas fait partie de la Comédie française (sans trait d’union) parce qu’il est mort sept ans avant sa création, il n’en demeure pas moins qu’il est l’âme de ladite Comédie-Française, ce qu’aucun de ses membres ne nierait. Sans en avoir fait partie, il en a incontestablement été l’initiateur. Et puis, vu ma déception d’hier, je me dis que je peux bien m’offrir ce cadeau.
Puisque je n’avais pas pu sentir l’âme de Molière au Père Lachaise, ce qui me confère dans mon idée que ce n’est pas son ossature qui se trouve dans le sarcophage qui lui est attribué, j’avais espoir d’en retrouver au moins une parcelle à la Comédie-Française, si infime soit-elle. Quel choc ce fut, tant pour SmokingDragon que pour moi d’être accueillis non pas par une parcelle de son âme mais davantage. Personnellement, en tant que Passeur, j’en ai vu d’autres, de toutes les couleurs si l’on peut dire. Marc, lui, après les révélations que je lui avais faites, il était prêt à en prendre, disons jusqu’à un certain point, mais pas jusque là. Pas au point d’être accueilli par le fantôme de Molière en personne, si on peut s’exprimer de la sorte. Parce que fantôme et en personne sont pour le moins anachroniques, lequel était évidemment tout de blanc vêtu, à la mode de son époque bien entendu, mais sans le drap coutumier aux fantômes, non plus que les chaines puisqu'il est libre d'aller et venir ou et comme bon lui semble dans l'enceinte.
Fort avenant, je lui ai demandé si l’on pouvait garder un souvenir de notre rencontre, sachant très bien que photographier les fantômes relève du tour de force, il a eu la gentillesse de répondre qu’il ne pouvait rien refuser au Passeur.
Histoire de prouver à mon ami que je savais de quoi je parlais quand je discutais au sujet de la Comédie-Française, nous nous sommes approchés de la billetterie et j’ai demandé à la dame s’ils avaient toujours le fauteuil de Molière, ce à quoi elle a eu l’air de se demander comment je pouvais imaginer que la Comédie-Française puisse se départir d’une telle icône. Si elle m’a regardé avec un air incrédule, pour ma part je n’ai pas été sans remarquer l’air ahuri de mon ami Dragon. J’ai évidemment demandé à la dame si nous pouvions voir le fauteuil, ce à quoi elle m’a répondu par la négative, quelque chose du genre «
je suis désolée, il est dans une salle dans un étage supérieur dont seul le directeur a la clé et vous comprendrez qu’il nous est évidemment interdit de faire visiter ».
Marc a tenté d’infléchir la décision de la guichetière, arguant que j’étais étranger — tiens donc, j’avais pas remarqué, j’ai pourtant un accent typiquement parisien... — mais si elle s’est montrée sensible à son charme, le mien n’a pas joué en ma faveur et nous sommes restés au rez-de-chaussée. Peut-être que si j’avais fait intervenir Molière lui-même... mais il avait déjà fait preuve de tant de gentillesse à notre endroit que je ne voulais pas me montrer trop exigeant. D’ailleurs, peut-être même qu’elle ne l’aurait pas vu...
Quittant la Comédie-Française, Marc et moi avons pris le temps de nous arrêter quelques instants à la boutique adjacente et fait pour le moins étonnant que nous avons tous deux remarqué, une énergie analogue à celle de la Comédie-Française nous enveloppe littéralement. C’est d’ailleurs assez particulier comme sensation. Lorsque nous avons quitté les lieux après quelques achats, mon ami Dragon m’a fait remarquer qu’à prime abord, il trouvait quelque peu simpliste cette envie presque maladive de faire une halte à la Comédie-Française mais que désormais il comprenait et mieux encore, il y reviendrait. Je ne sais pas s’il l’a fait et même si j’obtenais une réponse négative en lui posant la question, j’étais et demeure heureux de lui avoir fait découvrir un coin, si petit soit-il, de la Ville-Lumière.
Non je n’avais pas encore ma dose de Molière. C’était partie intégrante de mon agenda de la journée et même si notre passage à la Comédie-Française impliquait un retard, je maintins mon objectif initial ; je voulais voir la Fontaine Molière. De toute façon n’étions-nous pas dans le même secteur ? À peine deux cent cinquante mètres de l’un à l’autre endroit, même pas suffisant pour parler d’une petite marche de santé. Dire qu’il s’agit d’un monument impressionnant relève de l’euphémisme. 16 m de haut sur 6,5 de large pour le monument dans son entier, mélange de bronze et de marbre blanc.
C’est, pour un visiteur comme moi, agréablement surprenant. Je ne peux évidemment parler que pour moi mais quand on me parle d’une fontaine qui dépasse les trois mètres de hauteur, je parle, moi, de folie des grandeurs. Bon, évidemment, puisqu’il est question de Molière, je confesse un préjugé favorable. Mais 16 m, on ne rigole plus. Heureusement que c’est pour Molière parce que là j’aurais sans hésitation parlé de démence héréditaire. Mais comme c’est Molière, vu l’immensité du personnage...
Puis passage au Louvre, mais en se limitant à la cour intérieure parce que le temps commençait à nous faire cruellement défaut. Bien sûr j’aimerais le visiter, je ne suis pas plus fou qu’un autre. Passer à Paris sans visiter le Louvres, c’est un peu comme aller au Caire sans voir les Pyramides ; mais on ne songe pas à visiter le Louvres quand on a plus ou moins une demi-journée devant soi, qu’on n’est à Paris que pour deux jours. Nonobstant cette lacune, Marc tenait absolument à ce que je conserve de ma visite à Paris un souvenir digne d’un conquérant. On remarquera au passage l’imper que je porte, prêté à long terme par mon hôte puisque je me suis oublié chez mon hôte précédent, Tabadoc, lequel a envoyé mes effets chez moi au Québec, ce qui était plus commode que de tenter de me courir après
Je n’allais quand même pas venir à Paris sans goûter les marrons. Oui les marronniers existent au Canada. J’en ai déjà vu quelques-uns. Je n’en ai pas vu au Québec, mais au Canada. Est-ce que tous les marrons sont comestibles une fois cuits ? Je ne le sais pas. C’est un trou dans ma culture. De toute façon je n’en avais jamais mangé. Ni canadiens ni d’ailleurs. Alors...
Je suppose que l’idée d’en manger est venue initialement lors d’une famine parce que je reconnais que personnellement, j’ai trouvé le goût quelconque. Oui, comme on dirait chez nous, ça bouche un coin. D’autant que quand ils sont chauds et que l’air est frais, voire vif comme ce matin, ça fait du bien. Mais si je ne dirais pas que c'est mauvais, par opposition je n’irais pas davantage jusqu’à prétendre que c’est bon. Mais, au moins, je pourrai dire que j’ai goûté quand je regarderai les films de Don Camillo. De toute façon c’est une expérience culinaire qui en vaut une autre et je suis heureux d’avoir eu l’opportunité d’y goûter. Par contre, en temps de famine, voire de disette, c’est incontestablement mieux que d’avoir l’estomac creux.
Parlant d’estomac creux, je n’ai mangé que deux ou trois marrons, mon ami, lui, garde l’estomac affamé parce que le petit déjeuner commence à être loin. Je me doute bien que lui sait plus ou moins où il s’en va, pour ma part je n’en ai pas la plus petite idée. Alors je me laisse conduire. Sans que je lui aie dressé une liste précise des endroits que j’aimerais visiter, il commence à me connaître suffisamment pour savoir ce qui m’intéresse. Mais d’abord il tient à combler le précipice qu’il a au bout de l’œsophage. Nous nous arrêtons donc à un bar terrasse pour casser la croûte avant de poursuivre notre chemin.
C’est en quittant les lieux que, tenant à ce que j’en conserve un souvenir ― un de plus ― Marc décide de prendre une photo de moi devant ledit restaurant, qu’il découvre sur la devanture du bar le côté cocasse du choix de l’endroit. Après tout, n’est-il pas normal que le Passeur décide de faire une pause
au caveau ?
Nous terminerons finalement cette journée par une visite renouvelée à Notre-Dame — non je n’ai toujours pas vu la zingara Esméralda, non plus que le malheureux Quasimodo — où, malgré mes divergences d’opinion, je discuterai un bon quart d’heures avec un ...prêtre. Oui-oui ! Discussion, au demeurant, fort courtoise de part et d’autre de laquelle je suis ressorti, non pas converti, mais certes grandi.