J'étais en route vers une certaine idée à refaire et mal partie pour s'arrêter. J’avais été pris par cette envie subite, un peu draconienne, de paqueter mon baluchon afin d’entreprendre le tour de moi-même. Une mise en orbite nécessitant un changement de regard, une misalabime, un décalfeutrement qui me permettrait peut-être d’accepter à peu près correctement que j’ai arrêté de grandir.
J’ai arrêté de grandir. J’ai atteint ce point où le corps dit à l’esprit : « demain, j’arrête, je quitte la croissance et te contemple. Seul à ta tête tu fis, me trimballant d’une stature méditative à de gymnastiques exploits, m’infligeant tour à tour le bruit des oreilles, la pollution des yeux, le goût de ronce au cœur, les marteaux au crâne, les lendemains de veilles ; me privant de mille besoins pour ton simple plaisir, d'autant de plaisir pour tes tristes besoins ; m’as-tu mal nourri, m’as-tu mal bordé, m’as-tu mal étanché. Allez, va, tourne, circonvule. Ressaisis-toi, ressaisis-moi»
Mais c’était bien sûr qu’il allait me bouder un jour ou l’autre. Alors quoi, mon plaisir, quel plaisir ? Celui du mauvais vin, bu matin ? celui de la fumée, du cou autour enchaîné ? Celui du gras, des artères comblées ? Celui, plus bas, du coup de trop, un peu gauche ? Possiblement. Probablement. Certainement.
Mais quoi alors ? Arrêter, abandonner 20 ans d’expertises en pollution de soi ? Avoir traversé tous ces vices pour en garder quoi ? Non, je ne ferai pas cela. Je continuerai, moins, mieux, puisqu’il le faut. Quelque part, changer la manie en péché, sortir du cercle des vicieux et non pas l'élargir.
Et quoi, l'esprit! Celui qui, lentement, sûrement, se laisse traîner vers la raison par ma nonchalante bourgeoisie ? Celui qui glisse vers le lisse, ne pose plus les questions pensées, cesse de déranger?
Ha non, alors. Je veux bien faire un effort sur le consommable, mais pour ce qui est de consumer et fumer les cons sonnant faux, je ne saurais, loin s'en faut.
Est-ce que ce qui précède me raconte? Je ne crois pas, en fait.
Bon, ok, faisons simple, soyons court mais bref. Je suis donc en route, avec mon baluchon, à la recherche de comment me débarrasser de cette ridicule cigarette, chose que je suis parvenu à faire, pour l'instant, depuis trois semaines. Vingt-et-un jours sans inhaler de fumée, ou si peu, mais point de tige. Comment est-ce donc possible? Nicorette? Ha, le tricheur! Que nenni. La pipe.
Ringart, hé, l'autre. Il fait genre, quoi. Non plus. Il y a treize ans, je ne dis pas. Je fus plus que vert (ou moins que vert, comment dit-on?) et il me fallait me dissocier de mes semblables par le paraitre. Ah, être ou paraître, je croyais avoir choisi, je me fourvoyais. Je me trimballais avec mon insipide Rimini que je tenais comme si j'avais peur de me la faire voler. Ostentatoirement, même pas fièrement.
Aujourd'hui, c'est bon. Mon statut social se dessine, décimant au passage l'incertitude d'un ado sur le tard, en quête longtemps d'appartenance, d'identité. Je pense que là -bien que rien ne soit acquis-, au moins une certaine stabilité, voire une stabilité certaine s'est immiscée dans ma vie. Oh, quel regard mon moi jadis aurait eu sur je? En tout cas, je l'aime mon moi d'avant, de maintenant et d'après. Et ça, je commence à le faire.
Ma bouffarde, c'est ma bouffarde. Pouffez, admirez, riez et partez en calembours aisés, je choisi dès à présent quand et quoi je fume. Je prends mon temps. Je reste même disponible.
Etre. C'est du boulot. Souvent un peu plié sous la pression extérieur, je pense qu'il est temps de s'élever et de sèveler un peu plus et pour ce, finalement, nul besoin de s'écerveler.
Donc, baluchon sur l'épaule, smartphone par les lattrines, je m'en vais, la pipe à la gueule, la pipe à la gueule, sur la route et entre dans cette forêt, en quête de mieux respirer, mieux poser et clame devenir plus calme.
Cheminant à peine déjà, je vois cette lumière, j'entends ce brouhaha de rires, de tendres empoignades, de hauts débats, sentant bon les volutes, entendant jouer vos luthes.
Je m'en suis bourrée une, me suis posé sur une souche à proximité du manoir, et j'écoute depuis quelques jours, m'inspirant, m'instruisant au passage. Lorgnant d'un œil mouillé la lourde porte, apparemment jamais vraiment fermée... et j'attends, la tripe au ventre, le moment.
Allez, j'ai froid, peut-être me donnerez vous un peu de bois, je l'ouvre.