« Les adjectifs », avait dit François Giroud, « sont l’acné de l’écriture ». Oui. Mais m’en fous. Faisons dans l’éruption juvénile. Et sur ce coup, je t’aligne illico la grosse cavalerie : étonnant, indémodable, riche, superbe, étrange, magnifique.
Voilà, ça, c’est fait.
Je m'étais promis de ne plus saoûler les forumeurs avec mes logorrhées tabagiques. Sauf en cas de succulente découverte.
Ben, désolé, j’en ai une, et de belle nature.
Premier abord : c’est noir, huileux, parallélépipédique et d’une forme aussi douce et déliée dans ses courbes que celle d'un chargeur de Colt 44 :
Ca c‘est du plug, du chouette, en barre. Vendu, sobrement, modestement, sous pochette plastique.
A l’odeur : c’est étonnant. Du bois, du chocolat, des fleurs sucrées fanées, de légères traces d’eau de fleurs d’oranger, de la terre humide, et bizarrement, du fumé assez gras, en arrière fond.
Pourtant, ce n’est pas un Anglais.
Je veux dire qu’il n’y a là-dedans aucune trace de perversion latakienne. Le Revor Plug, de Gawith Hoggarth, se compose de Virginia traité à l’air chaud et de Kentucky - fumé au bois, comme il se doit (du Kentucky de Burley, dit-on). Le tout cuit vapeur et pressé ensemble, avec une presse de près de 20 tonnes. Dit-on.
Et … à quoi on rajoute un « casing » lakelandien propre aux blenders de Kendal. Ou pas.
Les braves gens de GQ, excellent site, l’affirment : casing il y aurait. Tobacco Reviews, pourtant, classe ce tabac dans la catégorie des « none » (aro). Erwin van Hove, qui l’a chroniqué là (
[ltr]http://bit.ly/2adGvO7[/ltr]
) n’a pas remarqué d’ajouts particuliers. Et moi non plus.
Je ne sais plus pourquoi j’avais commandé ce truc. Moi, le Burley, c’est beurk ; et les pochettes plastique aussi. Du coup, je l’avais oublié 2 ans, avant, résigné à tout, de l’ouvrir et le goûter. Il n’avait pas (trop) séché. C’est au moins l’avantage des plugs, que de rester humides – et celui-ci, de plus, s’effrite facilement.
Bourrage aisé, sans souci. Et là, au fumage : surprise. Aucune trace de fleurs savonnées, ni de cochoncetés de cette sorte, qui dénoncerait publiquement un casing quelconque – et notamment les parfums poudrés-maniérés du Lakeland. Au contraire, dès l’allumage, c’est chaud, puissant, terreux, avec des senteurs de cuir. C’est d’emblée costaud. Mais tendre.
Rassasiant, complètement, et notamment en nicotine. GQ le déconseille même aux jeunes matelots de la bouffarde : ça tangue pas mal, côté vitamine N. Mais le tout, paradoxalement, reste très doux : de la confiture nappe l'ensemble, sur une note salée ; et ce doux mélange n’est pas sans me rappeler une tartine de mes vertes années : marmelade d’abricot, sur pain de campagne au levain acide, sorti du four, chaud encore, et tartiné de beurre demi sel. Totalement schlurp. Et velouté comme pas possible ; avec une fumée très riche et très belle, blanche et crémeuse.
Fort, bourru, mais dans le genre câlin : le Revor joue quelque chose comme les Lino Ventura du blending. C’est pas si mal…
Surtout : c’est autre chose. Un tabac d’antan, dans lequel les arômes se fondent entièrement, s’épousent, et se lient sans qu’aucun ne joue les divas, ni les solistes. Un tabac non pas monolithique, mais unique… qui n’est pas, dans son fondu et sa cohérence, sans rappeler mon Dunhill Flake chéri ; voire le Brown Irish Twist dont j’avais eu l’honneur de te chanter les louanges, il y a peu. A une nuance près. Une vraie, une belle.
Tu m’connais - mais sinon, j’te le dis : moi, le fumé, c’est mon nirvana, mon vice. Et ben, en milieu de bol, je me demandais sincèrement s’ils n’avaient pas glissé là-dedans quelques beaux brins de chypriote. Beaucoup, d’ailleurs sur Tobacco reviews, se sont laissés avoir, et jurent qu’ils y reniflent du Latakia pur jus.
Ce n’est pas le cas. Mais il y a autre chose que de l’oriental fumé : un Kentucky, également fumé, d’une qualité somptueuse, passé à la vapeur puis à la presse, pour mieux en sortir la tendresse et la force ; le sec et le doux ; l’acide et le sucré… en parfaite fusion, en totale union avec des Virginias à tomber.
Résultat, en fin de bol : un parfum de tabac, de fruit sec, de confiture, de bois, de terre et de cheminée qui t’emplit la bouche de façon pleine et roborative ; un goût assez unique, très long en finale ; comme un très grand armagnac. Et un tabac chaleureux qui me réjouit – même en été (autant dire qu'à mon sens, au coin du feu, vers les frimas, ce truc doit carrément se classer au rayon orgasmique).
Le camarade Erwin van Hove avait écrit, dans sa chronique :
« Avec ce plug subtil et satiné, la maison Gawith & Hoggarth prouve une fois de plus qu’elle perpétue la longue et glorieuse tradition de l’art du blending britannique. Le Revor Plug est un tabac d’un autre âge qui fait rougir de honte une bonne part des frivoles et superficiels virginias blends contemporains. » Y dit pas que des conneries, Erwin. Mais c’était en 2012. Alors je le redis. Avec surprise, et plaisir.
C’est autre chose, en effet, que 99% des blends qu’on consume chaque jour. C’est antique, et classique. Indémodable. Gourmand ; carré, magnifique. Et finalement : Anglais, totalement Anglais ; de par son histoire, sa fabrication… et son élégance veloutée, assumée; modeste et chaleureuse.
Enfin, c’est mon avis