- Jaufré Cantolys a écrit:
- Mais bon sang, comment faites-vous en hiver ? J'habite dans le Sud, et pourtant je me pèle... Alors j'ose pas imaginer, dans le Nord, dans la Marne ou du côté de Troyes...
Ah, que renaisse le temps des bons cabarets enfumés, ou pouvait pétuner bien au chaud entre amis autour d'un bon verre, sans crainte de se faire bouter dehors par la patronne ! O tempora o mores...
(à l'occasion j'écrirai un poème la dessus )
Voici le poème promis!
(j'ai demandé à notre ami Georges d'écrire une musique dessus, il y réfléchit...)
Complainte du pauvre bouffardeuxJadis, quand nous venait une envie de pétun,
Nous nous retrouvions, souvent, à quelques-uns,
Pour pétuner au bar ou dans quelque taverne :
Nous buvions en fumant,
Nous fumions en buvant,
Des bols de vieux tabacs arrosés de Sauternes.
L'un sortait sa Morel, et l'autre sa Lacroix.
Tel fumait de l’Anglais, tel autre du Semois...
Nous n’avions nul besoin d’échanger de paroles :
Nos épaisses fumées
Nous servaient de pensée.
Nous philosophions mieux que sur l’Acropole.
Ah, c’était le bon temps ! On savait vivre alors...
Il faisait chaud dedans ! Pourquoi fumer dehors ?
Notre tête était pleine, et notre joie complète.
Mais un ministre vint,
- Il s’appelait Evin -
Qui promulgua la Loi qui mit fin à la fête.
Dès lors, pauvre de nous, on nous montra du doigt.
Le brave mastroquet nous chassa de son toit.
Honnis, ostracisés, pis que des buveurs sobres,
On nous étiqueta
Persona non grata
Dans tous les cabarets. On nous couvrit d’opprobre.
Désormais condamnés à pétuner dehors,
Nous rasons les bistrots, leurs pignons, leurs abords,
Tristes claque-patins, bélîtres, pauvres hères,
Pipe éteinte souvent,
Le fourneau face au vent,
Pareils au juif errant, traînant notre misère.
Qu’on ne s’avise point d’aller à la maison
Dans l’espoir d’assouvir, au chaud, notre passion !
Car là-bas nous attend une âpre maritorne
A qui l’odeur du gris
N’inspire que mépris,
Qui nous boute dehors - ou pire, nous bigorne !
Las ! nos braises s’éteignent, par les froids hivernaux.
Quand la glaçante pluie mouille notre fourneau,
De guerre lasse, hélas ! nous tournons notre pipe.
Transis, nous frissonnons.
Trempés, nous grelottons.
Et un hiver sur deux, nous attrapons la grippe
Un plaisant compagnon me brocardait tantôt :
« Pourquoi ne mets-tu pas, pour fumer, un manteau ? »
O misère ! Un manteau laisse nu le visage...
Il faut un cache-nez !
- Ce qui, pour pétuner,
Pose un problème ardu, même pour les plus sages.
Par ailleurs le manteau ne couvre point les doigts.
Il faut porter des gants, comme les Suédois.
Or comment, dites-moi, espèces de maroufles,
Tasserez-vous les brins
De vos tabacs si fins
Avec les doigts tous bleus, ou engoncés de moufles ?
Malheureux bouffardeux, nés sous la Loi Evin !
Plus heureux serions-nous, si nous buvions du vin !
Quand à travers la vitre, au chaud, je vois les trognes
Réjouies des buveurs
Qui narguent les fumeurs,
Je dis qu’un jour ou l’autre, on finira ivrognes.
Jaufré Cantolys